La Vie de Jésus

19ème siècle

Ce parti [sacerdotal] était fort opposé aux séditions populaires. Il cherchait à arrêter les enthousiastes religieux, prévoyant avec raison que, par leurs prédications exaltées, ils amèneraient la ruine totale du pays. Bien que l'agitation provoquée par Jésus n'eût rien de temporel, les prêtres virent comme conséquence dernière de cette agitation une aggravation du joug romain et le renversement du temple, source de leurs richesses et de leurs honneurs. [...] Mais ce raisonnement a été celui des partis conservateurs depuis l'origine des sociétés humaines. Le "parti de l'ordre" (je prends cette expression dans le sens étroit et mesquin) a toujours été le même. Pensant que le dernier mot du gouvernement est d'empêcher les émotions populaires, il croit faire acte de patriotisme en prévenant par le meurtre juridique l'effusion tumultueuse du sang. Peu soucieux de l'avenir, il ne songe pas qu'en déclarant la guerre à toute initiative, il court le risque de froisser l'idée destinée à triompher un jour. La mort de Jésus fut une des mille applications de cette politique. Le mouvement qu'il dirigeait était tout spirituel ; mais c'était un mouvement ; dès lors les hommes d'ordres, persuadés que l'essentiel pour l'humanité est de ne point s'agiter, devaient empêcher l'esprit nouveau de s'étendre. Jamais on ne vit par un plus frappant exemple combien une telle conduite va contre son but.

Ernest Renan