Siège et bombardement de Strasbourg

19ème siècle

Mercredi 31 août (4ème semaine de siège)

Dans la population civile, les victimes devenaient également plus nombreuses chaque jour, et environ quatre-vingts habitants avaient déjà péri à la suite du bombardement. Dans les rues, dans les maisons, dans les réduits les plus cachés, les obus, les éclats surtout, faisaient des victimes, et les blessures de tous ces malheureux étaient le plus souvent mortelles. Les uns avaient les deux jambes coupées, les autres les bras ; plusieurs femmes ont eu la tête enlevée ; des enfants ont été broyés. Chaque jour l'on citait des blessures les unes plus affreuses que les autres auxquelles de nouvelles victimes avaient succombé. [...] Les vivres n'ont pas manqué à la ville pendant la durée tout entière du siège, et on avait de quoi faire face à plusieurs moi de blocus ; mais certaines denrées commençaient à coûter des prix élevés, et bientôt même elles furent peu à peu épuisées. Les magasins des charcutiers, par exemple, restèrent, à peu d'exceptions près, fermés dès les premières semaines. Quand le moment était venu de faire les provisions, la population les avait littéralement pris d'assaut et complétement vidés en quelques jours. Le lait était devenu d'une rareté excessive ; les quelques vaches laitières qui se trouvaient en ville n'étaient pas toutes grassement nourries et ne fournissaient que des quantités de lait restreintes ; elles furent, en grande partie aussi, tuées pour être débitées dans les boucheries. La population féminine de Strasbourg, habituée de tradition immémoriale à prendre le café au lait au moins une fois par jour, a beaucoup souffert du manque de cet aliment. La population masculine a eu à endurer une privation plus dure encore : celle de la bière. Renoncer tout à coup à cette boisson tant aimée a été pour les Strasbourgeois une épreuve cruelle, et j'ai entendu de mes oreilles un buveur de bière dire avec le plus profond sérieux : "Est-ce qu'on ne pourrait pas demander au général de faire des sorties à Koenigshoffen et à Schiltigheim pour amener en ville des provisions de bière qui se trouvent là dans les caves ? " Quelques brasseurs fabriquaient de temps en temps un peu de bière dans leurs établissements de la ville, et il fallait voir comme la foule alors se disputait le bien-aimé liquide qui, tout mauvais qu'il fût, paraissait excellent dans ces moments cruels. En voudra-t-on aux Strasbourgeois d'avoir pensé à la bière dans des temps aussi durs ? On oubliait un peu les soucis au milieu de la cohue bruyante, et puis qu'on demande donc au Normand de renoncer tout à coup au cidre, à l'Anglais d'abandonner le whisy, au Belge de délaisser le faro, au Bavarois de se priver du bock-bier de Munich...

Gustave Fischbach