Nasr Eddin

11ème siècle

Monter et descendre

Un jour que Nasr Eddin passe au pied d'un minaret du haut duquel le muezzin lance son appel à la prière, il lui crie : -— Cesse de te lamenter ! Tu as pu grimper tout seul à cet arbre sans branche ? Eh bien, débrouille-toi sans moi si tu veux redescendre.

Nasr Eddin, fils d'Abdullah Effendi et de Sidika Hanem, avait alors huit ans.

L'imam et les fidèles

Un jour, on vient en consultation juridique demander à Nasr Eddin : -— Si l'imam lâche un pet, à la mosquée, que doivent faire les fidèles ? -— Ce qu'ils doivent faire est évident, répond Nasr Eddin : aller chier.

Chrétien et Musulman

Un vendredi, Nasr Eddin surprend un des chrétiens d'Akshéhir à manger de la viande en cachette. -— Ô chrétien, toi qui as le devoir de charité, lui dit le Hodja, donne-moi un morceau, j'ai faim. -— Eloigne-toi, mahométan, c'est de la viande de porc et tu n'as pas le droit d'en manger. -— Qu'importe ! lui répond Nasr Eddin en s'asseyant à côté de lui, je suis chez les musulmans ce que tu es chez les chrétiens.

Ce qu'il y a dans le Coran

Nasr Eddin est un homme gai et de bonne humeur en toutes circonstances. Si on lui en demande la raison, il répond d'un ton d'évidence : -— Moi, je sais ce qu'il y a dans le Coran. Chacun admet pieusement cette excellente réponse. Un jour, toutefois, un jeune homme lui pose la question : -— Hodja, j'ai étudié le Saint Coran. Que renferme-t-il donc qui te rende si joyeux ? -— Des fleurs séchées que ma mère m'a envoyées et une lettre de mon cher ami Abdullah !

Et lui, que fait-il ? *

Un jour que Nasr Eddin, derrière un muret, est occupé à saillir son âne, un passant le surprend en pleine action : -— Malédiction ! Que fais-tu ici, en cachette ? -— A qui parles-tu ? A l'âne ? demande à son tour Nasr Eddin. -— Non, à toi, fils de chien ! -— Ah bon ! poursuit le Hodja, tout à son affaire. Parce que, vois-tu, je ne suis pas sûr que lui et moi fassions exactement la même chose ; il doit avoir son avis sur la question.

Leçon dans un cimetière

Nasr Eddin est en train de saillir son âne, caché dans un cimetière, lorsqu'un visiteur le surprend en pleine opération et, de mépris, crache ostensiblement. -— Fils de chien ! lui crie le Hodja, tu as de la chance que je sois occupé. Autrement, je t'aurais appris à souiller un lieu saint !

Il faut du temps pour s'y faire

Nasr Eddin est prostré dans un coin de l'étable. Il ne mange plus, il ne dort plus, il ne fait que gémir et se lamenter à longueur de journée. -— Eh bien, mon pauvre, le plaint un voisin venu lui rendre visite, dans quel état je te trouve ! Tu es méconnaissable. Qu'y a-t-il donc de si grave ? -— Ah mon ami ! Tu ne sais donc pas que ma femme est gravement malade ? -— Khadidja ? Tu m'étonnes ! Je viens de la croiser en ville, elle semblait en pleine santé... -— Oui, c'est vrai, excuse-moi, bredouille le Hodja tout confus. En réalité, c'est mon âne qui est malade mais il faut bien que je me fasse peu à peu à l'idée.

La raison de se surpasser

Nasr Eddin traverse la ville debout dans sa vieille carriole, en cravachant sauvagement son âne qui galope tant qu'il peut. -— Où vas-tu, Nasr Eddin ? lui crie quelqu'un au passage. Tu as l'air bien pressé. -— Je ne suis pas pressé mais je veux qu'il aille si vite qu'il en oublie qu'il est un âne !

Une recette de cuisine

Au salon de thé où Nasr Eddin se trouve en compagnie de quelques amis, la conversation porte sur les recettes et les expériences culinaires de chacun. On se flatte d'originalité et de réussites exceptionnelles. Seul le Hodja ne dit mot. -— Et toi, Nasr Eddin, lui demande-t-on, tu n'as donc jamais inventé une recette ? -— Si, une fois, répond-il. J'ai mélangé longuement du pain avec de la neige. -— Du pain avec de la neige ? C'est stupide ! -— Oui, et en plus ce n'est pas bon.

La partie de polo

Timour Leng propose à Nasr Eddin de faire le lendemain une partie de polo avec ses officiers. Nasr Eddin arrive sur le terrain juché sur son boeuf, tandis que les autres montent de magnifiques chevaux arabes. -— Hé, Nasr Eddin ! lui dit Timour au milieu de l'hilarité générale, as-tu l'intention de labourer le terrain ? -— Non, non, seigneur, répond le Hodja, mais il y a très longtemps que je n'ai pas joué au polo et j'ai un peu oublié les règles.

Le faucon et la vache

Impressionné par les merveilleuses chasses au faucon de Timour Leng et de ses officiers, Nasr Eddin s'en est procuré un et, dès qu'il le peut, s'entraîne en rase campagne. Un jour, après avoir lancé le rapace de son poing ganté de cuir, il le voit qui se pose sur le dos d'une vache broutant dans un pré. -— Voici ma première prise ! s'exclame très fier Nasr Eddin. Et, lui mettant la corde au cou, il ramène chez lui le ruminant. Le propriétaire découvre rapidement le forfait et il traîne le chasseur chez le cadi. -— Comment peux-tu dire que c'est ta vache pour la seule raison que ton faucon s'est posé dessus ? Je n'ai jamais vu autant de mauvaise foi  ! lui dit le juge. -— Et pourquoi donc ? répond Nasr Eddin. Tu parles bien de ta femme. As-tu procédé autrement ?

Fraternité

Nasr Eddin avait, dans la ville de Kara Hissar, un frère qu'il ne voyait pas souvent. Un jour, il décide d'aller lui rendre visite et une fois là-bas, en tête à tête, il lui demande la permission de le sodomiser. Le frère se récrie, le repousse violemment, l'abreuve d'insultes et d'injures grossières. Nasr Eddin en est surpris et attristé : -— Ô fils cadet de notre père ! Si un frère est refusé par son propre frère pour une chose aussi intime, de qui donc pourra-t-il l'obtenir ?

Une imitation parfaite

Nasr Eddin ne brillait pas particulièrement au jeu d'échecs mais il aimait bien y jouer de temps en temps. Une fois, pendant une partie, son partenaire habituel se sent pris de l'envie de lâcher un vent. Au bout d'un moment, il ne peut se contenir davantage mais, pour en couvrir le bruit, il produit en même temps une sorte de grincement en frottant son talon sur le plancher. Nasr Eddin continue à réfléchir à son coup sans broncher. Mais quelques instants après, son partenaire se retrouve dans le même embarras et doit recourir de nouveau à son stratagème. Au bout du cinquième ou sixième grincement, Nasr Eddin lui fait remarquer d'un ton humble : -— Eclaire-moi l'ami. Il y a un moment que j'étudie ton jeu et je pense avoir compris comment tu imites les pets avec ton talon. Mais explique-moi donc comment tu fais pour imiter l'odeur !

Sublimes Paroles et idioties de Nasr Eddin Hodja recueillies par J.-L. Maunoury

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