A George Sand

19ème siècle

Je ne me sens plus le besoin d'écrire, parce que j'écrivais spécialement pour un seul être qui n'est plus. Voilà le vrai ! et cependant je continuerai à écrire. Mais le goût n'y est plus, l'entraînement est parti. — Il y a si peu de gens qui aiment ce que j'aime, qui s'inquiètent de ce qui me préoccupe ! Connaissez-vous dans ce Paris, qui est si grand, une seule maison où l'on parle de littérature ? Et quand elle se trouve abordée incidemment, c'est toujours par ses côtés subalternes et extérieurs, la question de succès, de moralité, d'utilité, d'à-propos, etc. ! Il me semble que je deviens un fossile, un être sans rapport avec la création environnante. Je ne demanderais pas mieux que de me rejeter sur une affection nouvelle. Mais comment ? Presque tous mes vieux amis sont mariés, officiels, pensent à leur petit commerce tout le long de l'année, à la chasse pendant les vacances, et au whist après leur dîner. Je n'en connais pas un seul qui soit capable de passer avec moi un après-midi à lire un poète. — Ils ont leurs affaires ; moi, je n'ai pas d'affaires. Notez que je suis dans la même position sociale où je me trouvais à 18 ans. [...] Tout cela fait une existence peu folichonne.

(1870)

Gustave Flaubert