A Louise Colet

19ème siècle

Les chevaux et les styles de race ont du sang plein les veines, et on le voit battre sous la peau et les mots, depuis l'oreille jusqu'aux sabots. La vie ! la vie ! bander, tout est là ! C'est pour cela que j'aime le lyrisme. Il me semble la forme la plus naturelle de la poésie. Elle est là toute nue et en liberté. Toute la force d'une ouvre gît dans ce mystère, et c'est cette qualité primordiale, ce motus animi continuus (vibration, mouvement continuel de l'esprit, définition de l'éloquence par Cicéron) qui donne la concision, le relief, les tournures, les élans, le rythme, la diversité. Il ne faut pas grande malice pour faire de la critique ! On peut juger de la bonté d'un livre à la vigueur des coups de poing qu'il vous a donnés et à la longueur de temps qu'on est ensuite à en revenir. Aussi, comme les grands maîtres sont excessifs ! Ils vont jusqu'à la dernière limite de l'idée. [.] Je crois que le plus grand caractère du génie est, avant tout, la force. Donc ce que je déteste le plus dans les arts, ce qui me crispe, c'est l'ingénieux, l' esprit. Quelle différence d'avec le mauvais goût qui, lui, est une bonne qualité dévoyée. Car pour avoir du mauvais goût, il faut avoir de la poésie dans la cervelle. Mais l'esprit, au contraire, est incompatible avec la vraie poésie.

(1853)

Gustave Flaubert