De l'écriture de faits divers 2

article

Le fait divers rural ou "fait divers plouc"

Le fait divers rural fleure bon la rusticité univoque du monde des campagnes. Il se caractérise par un contexte extrêmement pittoresque et par des comportements volontiers exotiques pour le citadin. En effet, à la campagne, seul au milieu de la nature et des animaux, l'homme s'ennuie et commet, comme chaque fois qu'il est livré à lui-même, des actes saugrenus. Les DNA de ce jour (13 mars 2003) fournissent dans ce domaine deux faits divers paysans de qualité.

Du fil de fer dans le fourrage

Luemschwiller, village du Sundgau, est actuellement le théâtre d'une étrange affaire. Jeudi et lundi derniers, des morceaux de fil de fer d'une longueur de quatre à cinq centimètres ont été découverts dans un silo de maïs appartenant à l'exploitation agricole de deux frères, Gérard et Bernard Stoll. Ce silo, isolé du village, contient une partie du fourrage destiné à leur centaine de vaches. La vigilance des exploitants a permis d'éviter que des bêtes n'ingèrent le métal, ce qui pourrait leur être fatal. Les deux agriculteurs excluent un incident au moment de la fauche car les ensileuses sont équipées de détecteurs de métaux. Persuadés qu'il s'agit d'un acte de malveillance, ils redoutent de nouveaux agissements de ce genre. Ils ont déposé plainte à la gendarmerie d'Illfurth qui a ouvert une enquête.

On appréciera ici la phrase introductrice, dramatique, digne d'un bon roman, qui éveille la curiosité du lecteur — lequel ne sera pas déçu par la suite de l'article. "Luemschwiller, village du Sundgau" fait assurément écho, sur le plan rythmique et mélodique, au fameux "C'était à Mégara, faubourg de Carthage". On bascule ensuite dans le polar avec l'évocation d'une "étrange affaire" : les détails délivrés sans parcimonie se transforment insidieusement en indices et le lecteur se glisse peu à peu dans la peau du détective en charge de cette mystérieuse "affaire". Le journaliste pousse la bonté jusqu'à laisser à son lecteur le soin de tirer lui-même les conclusions des informations qu'il donne : tiens, tiens, le silo est "isolé du village" ? facile de s'en approcher discrètement ! Les deux agriculteurs possèdent "une centaine de vaches" ? Voilà de quoi exciter les jalousies au village ! Hum ! les "ensileuses sont équipées de détecteurs de métaux" ? le malfaiteur est vraiment très habile ! Les deux frères redoutent "de nouveaux agissements" ? Serait-ce encore l'un de ces serial-killers de bovidés, type de criminel si fréquent dans les campagnes ? etc. Le second fait divers est tout aussi caractéristique quoique moins spectaculaire :

Suicide ou maladresse ? L'homme de 45 ans blessé à la tête par balle mardi à Plobsheim, (DNA d'hier) n'a, semble-t-il, pas été victime d'une agression. D'après l'enquête des gendarmes et l'entourage du blessé, il s'agirait d'une tentative de suicide. L'homme, dont les jours ne sont plus en danger, affirme de son côté qu'il s'est blessé accidentellement en manipulant un pistolet.

Comme souvent dans le fait divers régional, la notion de "n'importe quoi" est bien présente, règne assourdissant de l'absurde, territoire infini du grotesque humain qui se résume en quelques lignes... Notons au passage le rôle de premier ordre de la gendarmerie dans le fait divers rural. Apparaissent dans l'imaginaire surstimulé du lecteur, les silhouettes à képis des fins limiers vêtus de bleu, dans leurs robustes 4L, parcourant départementales et chemins vicinaux en direction d'improbables fermes où des campagnards sournois et malhonnêtes, épaissis par des siècles d'alcoolisme et de consanguinité, ne parlent même pas français et les accueillent à coups de fusil... C'est beau comme du Faulkner !

© Ali Kiliç