De l'écriture de faits divers 1

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La poésie du fait divers est hélas méconnue et mésestimée. Pourtant, elle est une forme littéraire bien vivace, successful diraient les anglophones, et dont le prestige ne se dément pas avec le temps. Ainsi par exemple, la presse régionale regorge de faits divers formidables que le lecteur distrait néglige trop souvent, chaque jour, ce sont des morceaux d'anthologie qui s'impriment aux pages intérieures de nos quotidiens préférés :

MUNWILLER.— Dimanche vers 9 h 20, sur l'A 35 dans le sens Mulhouse-Colmar, à hauteur de l'accès de service de Munwiller, une collision s'est produite entre deux voitures. Blessés légèrement, les deux conducteurs — dont les identités n'ont pas été communiquées — ont été transportés à l'hôpital Pasteur de Colmar par les sapeurs-pompiers d'Ensisheim. L'accident s'étant produit sur la voie de gauche de l'autoroute, il a généré une perturbation relativement importante de la circulation qui a été réglée par les gendarmes du peloton autoroutier de Rixheim. (DNA)

L'une des principales lois de la poésie du fait divers est une loi de proportion : plus le fait divers sera anodin, minable presque, plus l'effet émotif sera puissant. Ainsi de cette histoire de collision, sans blessé grave, pas de quoi casser trois pattes à un mouton, à première vue, et pourtant, la magie opère immédiatement : on est transporté, on y est.

La seconde loi du fait divers poétique est celle du détail inutile et minusculisant, la précision superfétatoire et incongrue : "les identités n'ont pas été révélées", "sur la voie de gauche", "relativement importante", "les gendarmes du peloton autoroutier de Rixheim". Ces vétilles n'apportent ni ne retranchent rien à l'information, pareilles à des ornements stylistiques baroques, elles comblent les crevasses du non-dit, elles répondent à des questions que personne ne se pose (quelle est l'identité des victimes ? comment furent les perturbations ? où sont basés ces gendarmes ? ...) C'est leur vacuité qui en fait le prix.

Notons au passage qu'une bonne partie de la poésie du fait divers, repose sur la toponymie. Munwiller, Mulhouse, Colmar, Ensisheim, Rixheim... voilà des noms de patelins évocateurs qui fleurent bon le terroir. C'est là, au coeur de nos régions, que le poète traquera l'authentique fait divers rustique, rugueux, massif, solide comme une armoire en chêne.

Si le style du fait divers répond aux canons bien connus du falot sabir journalistique, la cerise sur le gâteau est la coquille, la faute d'orthographe ou mieux, la perle que l'on rencontre hélas trop rarement de nos jours. L'irruption de l'improbable au coeur du fait divers, le patronyme cocasse, la situation burlesque, la formule insolite..., sont autant de coups d'éclat, de morceaux de bravoure que l'on savoure en se les répétant encore et encore, en les relisant à haute voix, seul ou en famille, jusqu'à la transe.

Ah, feux de matelas, agressions de chauffeur de bus, vols à l'étalage à la petite semaine... qui chantera donc vos beautés si précieuses, vos illuminations ? Pour qui sait goûter l'infinie délicatesse du fait divers et qui se précipite sur la page chérie de son journal matutinal, c'est une aubade de l'âme tous les jours renouvelée.

© Ali Kiliç