Gymnastique

humour

Rien ne distinguait le petit Francis de ses autres camarades de classe, assis en tailleur dans le gymnase de l'école élémentaire, sinon des bras trop longs pour son âge et quelque chose de gourd dans tous ses gestes. Comme d'habitude, il n'écoutait pas l'institutrice, préférant fixer ses regards obstinés sur la rue et ses passants, au-delà des larges baies vitrées du bâtiment, aussi dut-elle l'interpeller à deux fois pour capter son attention :

" Francis... Francis, tu m'écoutes, bonhomme ? A ton tour de nous présenter un enchaînement, nous te regardons."

Il se leva à contrecoeur tandis que les gamins commençaient déjà à ricaner et se dirigea vers les tapis de gymnastique crasseux. Il avait beau fouiller sa mémoire à la recherche de quelques mouvements du corps qui eussent pu constituer un "enchaînement", mais il ne trouva rien qu'une roulade avant et un misérable poirier qu'il n'était même pas sûr de maintenir en équilibre.

A présent, alors qu'il était debout, pétrifié face à la classe qui percevait son trouble et s'en amusait déjà, seul face à ces rectangles spongieux alignés sur le sol pour composer un grand carré bleu nuit, Francis sentit sa vie lui échapper, sa vue se brouilla, il perdit ses esprits et crut devenir fou d'humiliation. Devina-t-il qu'à cette instant précis, son existence allait basculer dans le chaos et le meurtre, dans la folie sanguinaire et le tuage en série ? Sans doute Francis Heaulmes était-il encore trop jeune pour que la révélation de sa destinée s'exprimât aussi nettement en lui mais nul doute que cet après-midi-là, dans ce gymnase, il en eut une prescience confuse.

© Ali Kiliç