Romans à l'eau de rose

pastiche

Version Journal de Drieu :

7 novembre

Hier, au Café des Trois Baudets. Isabelle Beauchamp qui bavarde au milieu de ses courtisans : une parfaite image de notre décadence actuelle. Pauvre France. Je me suis approché d'elle, vacillant et lâche, comme toujours, et c'est à peine si j'ai eu la force de la saluer d'un baisemain. Comme j'envie l'énergie des hommes d'action, ils ne s'embarrasseraient pas de mes scrupules, eux qui iraient droit au but ! Mais je ne suis qu'un intellectuel, continuellement asservi à de fastidieux atermoiements.

Version Carnets de Montherlant :

Quel mauvais soupirant je fais ! Mme B..., conférencière. Elle parle au milieu d'un cercle d'étudiants (je ne me souviens plus de quoi) . Je m'avance mécaniquement vers elle, saisis sa main pour la saluer mais elle me morgue en retour. Je me sens rougir comme un garçon de seize ans. Mais personne ne dit mot (ni moi non plus) .

Version Montaigne

C'est folie d'essayer à brider nostre desir qui est si cuysant et si naturel. La plus part de nos actions heureuses se conduisent non par chois mais par l'effect du hazard, et sommes portez hors des gons de raison par des forces estrangeres à nous-mesmes. Virgile dict que Albinus, lors qu'il se trouva devant Isabelle qu'il idolatroit, esmeu par sa science et sa bonté, et par autres qualitez bien conneües, ne pust s'empescher de boiser sa main, sans soucy de l'usage ni de l'entouraige qui estoit entre eus. Bien sovent aurois-je mieus faict de suivre cest exemple temerere, au lieu dequoy fus retenu par la honte és occasions de laisser parler mon coeur. Je craignois superstitieusement d'offenser, et respectant trop ce que j'aymois, je ne fis rien, quoy que die Homere qu'à un jeune homme, c'est une sotte vertu que la honte.

© Ali Kiliç