De l'autobiographie

rapproch

"Qu'on n'attende pas de moi le compte global de ce qu'il m'a été donné d'éprouver dans ce domaine. Je me bornerai ici à me souvenir sans effort de ce qui, ne répondant à aucune démarche de ma part, m'est quelquefois advenu, de ce qui me donne, m'arrivant par des voies insoupçonnables, la mesure de la grâce et de la disgrâce particulières dont je suis l'objet  ; j'en parlerai sans ordre préétabli, et selon le caprice de l'heure qui laisse surnager ce qui surnage." (Nadja, A. Breton)

"L'ouvrage inspiré par mes cendres et destiné à mes cendres subsistera-t-il après moi ? Il est possible que mon travail soit mauvais  ; il est possible qu'en voyant le jour ces Mémoires s'effacent : du moins les choses que je me serai racontées auront servi à tromper l'ennui de ces dernières heures dont personne ne veut et dont on ne sait que faire. Au bout de la vie est un âge amer : rien ne plaît, parce qu'on n'est digne de rien ; bon à personne, fardeau à tous, près de son dernier gîte, on n'a qu'un pas à faire pour y atteindre : à quoi servirait de rêver sur une plage déserte ? quelles aimables ombres apercevrait-on dans l'avenir ? Fi des nuages qui volent maintenant sur ma tête ! Une idée me revient et me trouble : ma conscience n'est pas rassurée sur l'innocence de mes veilles, je crains mon aveuglement et la complaisance de l'homme pour ses fautes. Ce que j'écris est-il bien selon la justice  ? La morale et la charité sont-elles rigoureusement observées ? Ai-je eu le droit de parler des autres ? Que me servirait le repentir, si ces Mémoires faisaient quelque mal ? Ignorés et cachés de la terre, vous de qui la vie agréable aux autels opère des miracles, salut à vos secrètes vertus ! Ce pauvre, dépourvu de science, et dont on ne s'occupera jamais, a, par la seule doctrine de ses moeurs, exercé sur ses compagnons de souffrance l'influence divine qui émanait des vertus du Christ. Le plus beau livre de la terre ne vaut pas un acte inconnu de ces martyrs sans nom dont Hérode avait mêlé le sang à leurs sacrifices. " (Mémoires, Chateaubriand)

"J'entreprends d'écrire l'histoire de ma vie jour par jour. Je ne sais si j'aurai la force de remplir ce projet, déjà commencé à Paris. Voilà déjà une faute de français ; il y en aura beaucoup, parce que je prends pour principe de ne pas me gêner et de n'effacer jamais. Si j'en ai le courage, je reprendrai au 2 ventôse, jour de mon départ de Milan, pour aller rejoindre le lieutenant général Michaud à Vérone." (Journal, Stendhal)

"Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. Moi seul. Je sens mon coeur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu." (Les Confessions, Rousseau)

"Ecrire l'histoire de son pays et de son temps, c'est repasser dans son esprit avec beaucoup de réflexion tout ce qu'on a vu, manié, ou su d'original dans reproche, qui s'est passé sur le théâtre du monde, les diverses machines, souvent les riens apparents qui ont mû les ressorts des événements qui ont eu le plus de suite, et qui en ont enfanté d'autres ; c'est se montrer à soi-même pied à pied le néant du monde, de ses craintes, de ses désirs, de ses espérances, de ses disgrâces, de ses fortunes, de ses travaux ; c'est se convaincre du rien de tout par la courte et rapide durée toutes ces choses, et de la vie des hommes ; c'est se rappeler un vif souvenir que nul des heureux du monde ne l'a été, et que la félicité ni même la tranquillité ne peut se trouver ici-bas ; c'est mettre en évidence que, s'il était possible que cette multitude de gens de qui on fait une nécessaire mention avait pu lire dans l'avenir le succès de leurs peines, de leurs sueurs, de leurs soins, de leurs intrigues, tous, à une douzaine près tout au plus, se seraient arrêtés tout court dès l'entrée de leur vie, et auraient abandonné leurs vues et leurs plus chères prétentions ; et que, de cette douzaine encore, leur mort, qui termine le bonheur qu'ils s'étaient proposé, n'a fait qu'augmenter leurs regrets par le redoublement de leurs attacjes, et rend pour eux comme non avenu tout ce à quoi ils étaient parvenus." (Mémoires, Saint-Simon)

"C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai nulle consideration de ton service, ny de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ay voué à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve la connoissance qu'ils ont eu de moy. Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me presenterois en une marche estudiée. Je veus qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contantion et artifice : car c'est moy que je peins. Mes defauts s'y liront au vif, et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l'a permis. Que si j'eusse esté entre ces nations qu'on dict vivre encore sous la douce liberté des premieres loix de nature, je t'asseure que je m'y fusse tres-volontiers peint tout entier, et tout nud. Ainsi, lecteur, je suis moy-mesmes la matiere de mon livre : ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq ; de Montaigne, ce premier de Mars mille cinq cens quatre ving." (Les Essais, Montaigne)

"Que si je ne puis, Seigneur, parler à votre justice, permettez au moins que je parle à votre miséricorde, bien que je ne sois que terre et cendre. Permettez-moi de parler, puisque c'est à votre clémence et à votre bonté que j'adresse mes paroles, et non à un homme qui se moquerait peut-être de moi. Il se peut faire néanmoins que vous vous en moquez vous-même mais j'espère que si vous vous moquez de mes paroles, vous aurez pitié de ma misère. Je commencerai donc Seigneur, en vous déclarant que j'ignore d'où je suis venu en ce monde, en cette vie misérable, à laquelle je ne sais si je dois donner le nom d'une vie mortelle, ou plutôt d'une mort vivante." (Confessions, Saint Augustin)

© Ali Kiliç