Du hérisson chez d'autres auteurs

rapproch

Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière : avec la description du Cabinet du Roi. Tome huitième.

Le Renard fait beaucoup de choses, le Hérisson n'en fait qu'une grande, disoient les Anciens. Il sait se défendre sans combattre, & blesser sans attaquer : n'ayant que peu de force & nulle agilité pour fuir, il a reçû de la Nature une armure épineuse, avec la facilité de se resserrer en boule et de présenter de tous côtés des armes défensives, poignantes, & qui rebutent ses ennemis ; plus ils le tourmentent, plus il se hérisse et se resserre. Il se défend encore par l'effet même de la peur, il lâche son urine, dont l'odeur et l'humidité se répandent sur tout son corps, achèvent de les dégoûter. Aussi la pluspart des chiens se contentent de l'aboyer & ne se soucient pas de la saisir : cependant il y en a quelques-uns qui trouvent moyen, comme le renard, d'en venir à bout en se piquant les pieds et se mettant la gueule en sang ; mais il ne craint ni la fouine, ni la marte, ni le putois, ni le furet, ni la belette, ni les oiseaux de proie. La femelle & le mâle sont également couverts d'épines depuis la tête jusqu'à la queue, & il n'y a que le dessous du corps qui soit garni de poil ; ainsi ces mêmes armes qui leur sont si utiles contre les autres, leur deviennent très incommodes lorsqu'ils veulent s'unir : ils ne peuvent s'accoupler à la manière des autres quadrupèdes, ils faut qu'ils soient face à face, debout ou couchés. C'est au printemps qu'ils se cherchent, & ils produisent au commencement de l'été. On m'a souvent apporté la mère & les petits au mois de juin : il y en a ordinairement trois ou quatre, & quelquefois cinq ; ils sont blancs dans ce premier temps, & l'on voit seulement sur leur peau la naissance des épines.

J'ai voulu en élever quelques-uns, on a mis plus d'une fois la mère & les petits dans un tonneau avec une abondante provision ; mais au lieu de les alaiter, elle les a dévorés les uns après les autres. Ce n'étoit pas par le besoin de nourriture, car elle mangeoit de la viande, du pain, du son, des fruits, & l'on n'auroit pas imaginé qu'un animal aussi lent, aussi paresseux, auquel il ne manquoit rien que la liberté, fût de si mauvaise humeur & si fâché d'être en prison ; il a même de la malice, & de la même sorte que celle du singe. Un hérisson qui s'étoit glissé dans la cuisine découvrit une petite marmite, en tira la viande & y fit ses ordures. J'ai gardé des mâles & des femelles ensemble dans une chambre, ils ont vécu, mais ils ne se sont point accouplés. J'en ai lâché plusieurs dans mes jardins, ils n'y font pas grand mal, & à peine s'aperçoit-on qu'ils y habitent ; ils vivent de fruits tombés ; ils fouillent la terre avec le nez à une petite profondeur ; ils mangent les hannetons, les scarabées, les grillons, les vers & quelques racines ; ils sont aussi très-avides de viande, & la mangent cuite ou crue.

A la campagne on les trouve fréquemment, dans les bois, sous les troncs des vieux arbres, & aussi dans les fentes de rochers, & surtout dans les monceaux de pierre qu'on amasse dans les champs & dans les vignes. Je ne crois pas qu'ils montent sur les arbres, comme le disent les Naturalistes, ni qu'ils se servent de leurs épines pour emporter des fruits ou des grains de raisin ; c'est avec la gueule qu'ils prennent ce qu'ils veulent saisir, & quoiqu'il y en ait un grand nombre dans nos forêts, nous n'en avons jamais vû sur les arbres ; ils se tiennent toûjours au pied dans un creux ou sous la mousse ; ils ne bougent pas tant qu'il est jour, mais ils courent, ou plustôt ils marchent pendant toute la nuit ; ils approchent rarement des habitations, ils préfèrent les lieux élevés & secs, quoiqu'ils se trouvent aussi quelquefois dans les prés. On les prend à la main, ils ne fuient pas, ils ne se défendent ni des pieds ni des dents, mais ils se mettent en boule dès qu'on les touche, & pour les faire étendre il faut les plonger dans l'eau. Ils dorment pendant l'hiver, ainsi les provisions qu'on dit qu'ils font pendant l'été leur seroient bien inutiles. Ils ne mangent pas beaucoup, & peuvent se passer assez long-temps de nourriture. Ils ont le sang froid à peu près comme les autres animaux qui dorment en hiver. Leur chair n'est pas bonne à manger, & leur peau, dont on ne fait maintenant aucun usage, servoit autrefois de vergette & de frottoir pour ferancer le chanvre.

Il en est des deux espèces de hérisson, l'un à groin de cochon, & l'autre à museau de chien, dont parlent quelques auteurs, comme des deux espèces de blaireau ; nous n'en connoisssons qu'une seule, & qui n'a même aucune variété dans ces climats ; elle est assez généralement répandue, on en trouve par-tout en Europe, à l'exception des pays les plus froids, comme la Lapponie, la Norvège, &c. Il y a, dit Flacourt, des hérissons à Madagascar comme en France, & on les appelle Sora. Le hérisson de Siam dont parle le P. Tachard, nous paroît être un autre animal, & le hérisson d'Amérique, le hérisson de Sibérie, sont les espèces les plus voisines du hérisson commun ; enfin le hérisson de Malacca semble plus approcher de l'espèce du Porc-épic que de celle du hérisson.

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La Fontaine

Le Renard, les Mouches, et le Hérisson

Aux traces de son sang, un vieux hôte des bois,

Renard fin, subtil et matois,

Blessé par des Chasseurs, et tombé dans la fange,

Autrefois attira ce Parasite ailé

Que nous avons mouche appelé.

Il accusait les Dieux, et trouvait fort étrange

Que le Sort à tel point le voulût affliger,

Et le fît aux Mouches manger.

Quoi ! se jeter sur moi, sur moi le plus habile

De tous les Hôtes des Forêts !

Depuis quand les Renards sont-ils un si bon mets ?

Et que me sert ma queue ? Est-ce un poids inutile ?

Va ! le Ciel te confonde, animal importun.

Que ne vis-tu sur le commun ?

Un Hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Du Peuple plein d'avidité :

Je les vais de mes dards enfiler par centaines,

Voisin Renard, dit-il, et terminer tes peines.

— Garde-t'en bien, dit l'autre ; ami, ne le fais pas ;

Laisse-les, je te prie, achever leurs repas.

Ces animaux sont soûls ; une troupe nouvelle

Viendrait fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas :

Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.

Aristote appliquait cet apologue aux hommes.

Les exemples en sont communs,

Surtout au pays où nous sommes.

Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns.

© Ali Kiliç