Céline / Miller 3

rapproch

Miller : Nuit profonde, et la rivière regorge de glace, les étoiles dansent, tournoient, tourbillonnent comme des toupies. Le long de la rue tailladée nous traînions, toute la famille. Le long de la pure, blanche croûte terrestre, nous marchions, laissant des empreintes, des traces de pieds. La vieille famille allemande balayait la neige avec un arbre de Noël. Toute la famille était là, oncles, cousins, frères, soeurs, pères, grands-pères. Toute la famille chaude et avinée, et personne ne pense à l'autre, ne pense au soleil qui se lèvera le matin, aux courses à faire, au verdict du médecin, à tous les cruels, à tous les affreux devoirs qui souillent la journée et rendent cette nuit sainte, sainte nuit d'étoiles bleues et de courants profonds, de fleurs d'arnica et d'ammoniaque, d'asphodèles et de papier verre.

Céline : Maintenant qu'il nous avait rejoints dans notre angoisse il ne savait plus trop comment faire le curé, pour avancer à la suite de nous quatre dans le noir. Un petit groupe. Il voulait savoir combien qu'on était déjà dans l'aventure ? Où que c'était que nous allions ? Pour pouvoir, lui aussi, tenir la main des nouveaux amis vers cette fin qu'il nous faudrait bien atteindre tous ensemble ou jamais. On était maintenant du même voyage. Il apprendrait à marcher dans la nuit le curé, comme nous, comme les autres. Il butait encore. Il me demandait comment il devait s'y prendre pour ne pas tomber. Il n'avait qu'à pas venir s'il avait peur ! On arriverait au bout ensemble et alors on saurait ce qu'on était venu chercher dans l'aventure. La vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. Et puis peut-être qu'on ne sait jamais, qu'on trouverait rien. C'est ça la mort. [.] Ça ne sert pas même d'écarquiller les yeux dans le noir dans ces cas-là. C'est de l'horreur de perdue et puis voilà tout. Elle a tout pris la nuit et les regards eux-mêmes. On est vidé par elle. Faut se tenir quand même par la main, on tomberait. Les gens du jour ne vous comprennent plus. On est séparé d'eux par toute la peur et on en reste écrasé jusqu'au moment où ça finit d'une façon ou d'une autre et alors on peut enfin les rejoindre ces salauds de tout un monde dans la mort ou dans la vie.

© Ali Kiliç